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6 février 2014

Fromage et café au pays des Sames


Aujourd'hui, c'est la journée nationale Same. Elle est célébrée le 6 février qui représente la 1ère fois où les Sames ont décidé de se rassembler d'une manière politique, lors d'une réunion qui a eu lieu en 1917 à Ostersund... 


mais ce ne sera pas le sujet du jour. Non. Aujourd'hui ce sera quelques mots sur le fromage et le café. ET oui, il y a un rapport avec les Sames. Pour être complètement honnête, faire un post sur " la culture alimentaire same " était un peu ambitieux. ( surtout quelques jours avant RestaurantDay... ). Donc petit papotage autour du fromage et du café.

futur ragout... à table

Quand on pense aux Sames, aux grandes étendues de neige et de forêt, ce n'est pas forcément le fromage auquel au pense. Plutôt au ragoût de renne et sa sauce aux airelles et aux champignons … Mais en tombant sur un vieux bouquin de 1956 " les lapons des montagnes suédoises", de Ernst Manker, j'ai appris que les Sames ( sûrement sous l'influence des norvégiens) avaient l'habitude de traire les rennes. Bim. 


Same trayant. 


J'ai fouiné un peu dans les obscurs recoins d'internet et des bibliothèques et j'ai compris quelques trucs... Je ne parle en effet toujours pas suédois, ce qui ne facilite pas les recherches. Mais voilà. Quand les Sames vivaient d'une économie autonome, le renne leur fournissait la viande, le lait, le fromage et le beurre et ils pêchaient le poisson. La traite des rennes était donc chose courante. Dans les années 60 seul un petit groupe de lapons des montagnes ( à la frontière Suède/Norvège) pratiquait encore la traite de manière régulière et fabriquaient des produits laitiers. 



Le lait ( beaucoup plus gras que le lait de chèvre par exemple) des rennes était utilisé de beaucoup de façon : on le buvait frais, servi dans le café, ou encore comme base pour le porridge. Et on en faisait des fromages et du beurre pour le conserver. On le conservait séché ou gelé après l'avoir fait caillé dans des petites barriques. Le fromage était fait à base de présure et formé dans des formes en bois ou tressés ( la forme conditionne le goût). Ces formes étaient gravées ce qui donnaient de jolis dessins aux fromages. Le fromage, une fois préparé, avait l'épaisseur d'un pouce. Ensuite, on les mettait à sécher avec la viande et rejoignait les produits facile à emporter en voyage. Ce fromage séché servait de crème dans le café après avoir été découpé en flocons.
Le beurre était fait à partir du petit lait battu. ( on faisait aussi du fromage à partir de petit lait) .


forme pour le fromage



Le café.
Comment ne pas parler du café dans les pays nordiques ? Les finlandais sont les européens qui boivent le plus de café. C'est typiquement présenté comme la boisson préféré des Sames. Pourtant, il n'est apparu en Laponie qu'à partir de 1870-1880 et il y a eu une vraie pénurie pendant la guerre... qui a inspiré les recettes de succédané de café les plus créatives. En Laponie, on se servait surtout d'une espèce de champignon ( polyporus igniarius ) qui poussent sur les troncs des bouleau. La façon de préparer le café des Sames est particulière. 

Je me rappelle, quand j'étais en Laponie suédoise, d'une Same qui me racontait que la préparation était très codifiée, pleine de petits rituels. Par exemple, il ne faut pas mettre le bec de la cafetière vers l'entrée de la maison ou la tente, car elle apporte le mauvais œil sur l'invité qui entrera. Le café est intimement lié à l'hospitalité. La cérémonie du café same me fait un peu penser à la cérémonie japonaise du thé : on prend le temps de se poser, on fait bouillir, on déguste. On raconte des histoires, on discute... je dois avouer que c'est un de mes plus beaux souvenirs de Laponie et de ma rencontre avec les Sames.



Pour l'aspect technique, le café est fait dans une cafetière en cuivre, au feu de bois ( ce qui permet à l'eau de bouillir tout doucement et de ne pas brûler le café ). On met le café dans l'eau froide et on laisse bouillir. Comme ça, le café infuse tranquillement et développe ses saveurs.

Je vous renvoie vers la très jolie interview sur le site « nordic coffee culture » d'Anna, barista same qui tient son café à Lyksele. Je suis absolument fan.

Pour ceux qui n'aiment pas le café, ils font aussi de très bonnes bières dans le Jämtland, "wild mark, la bière préférée des éleveurs de rennes". 



Et pour terminer sur une petite note militante, le premier groupe SlowFood à s'être formé en Scandinavie est SlowFoodSapmi... je dis ça, je dis rien. Mais le lien entre le terroir et les Sames est vraiment important : leur culture traditionnelle alimentaire : renne, baies, poissons est directement tirée de la nature et donc en dépend. ( et du coup, on pourrait parler pollution, mines, Kallak... tout ça n'est pas fini ! ) 
 Et a eu lieu en été 2010 en Laponie Suédoise (Jokkmokk je crois)  une grande conférence sur la question des cultures alimentaires " traditionnelles" qui réunissait tous les peuples autochtones du monde. 


4 septembre 2013

les mouvements de protestation en Laponie et l'image des Sames

Suite aux évènements de Kallak, en Laponie Suédoise, j'ai décidé d'écrire une série d'articles ( oui, c'est un peu pompeux comme nom, mais bon. ) pour donner un éclairage sur le contexte dans lequel luttent aujourd'hui les Sames.  C'est un peu mon sujet de mémoire après tout ( que je ne finirai sûrement jamais d'ailleurs, mais ceci est une autre histoire)
Pour résumer, les Sames luttent contre des forages miniers à Kallak, près de Jokkmokk en Laponie suédoise. Cette mine est en plein milieu des pâturages de leurs rennes.
Pour les manifestations et ce qu'il se passe exactement à Kallak en français, je vous conseille de suivre le fil d'info :http://www.escales-nordiques.com/fil-info-kallak/

J'ai choisi d'utiliser le terme " Same" car il est plus proche de la prononciation same et le plus utilisé par les chercheurs français. Il s'agit pour moi de parler de mon expérience et de mon ressenti de la situation des Sames en Suède, et plus généralement dans les pays nordiques. Et peut-être de relayer la voix des Sames en français, nous sommes assez peu à nous y intéresser. C'est ma manière d'agir pour soutenir les Sames dans leur lutte.


Dès que les Sames ont commencé à manifester en août contre les forages, des propos et commentaires racistes sont apparus dans les journaux. Je crois que l'image des Sames dans la société suédoise est une question très importante pour comprendre ce qu'il se passe en Laponie suédoise. Les Sames sont en effet victimes de préjugés raciaux assez fous. Quand j'étais en Laponie ( du Sud, dans le Jämtland exactement) pendant un mois ( pour une expédition ethno-linguistique), il était assez courant qu'on nous réponde que le meilleur moyen de rencontrer des Sames était d'aller au musée ou dans les bibliothèques car les " vrais Sames authentiques" n'existent plus. Ils les imaginent telle l'image d'Epinal les décrit dans une kota, sans électricité, à suivre leurs rennes, sans téléphone portable, en costume traditionnel.

comme ça en fait :



Et c'est à travers quelques moments du mouvement same que je voudrais montrer comment leur image a évolué et dans quel contexte culturel les Sames luttent donc à Kallak.

Les protestations Sames ne sont pas un nouveau phénomène. Les Sames ont toujours lutté pour protéger leurs cultures, leurs langues, leurs terres..

La 1ere organisation Same est Same du Sud : il s'agit du regroupement "Fatmomakke" ( Asele, Wilhemina) qui est créée en 1904. La chanteuse et militante Same du Sud Elsa Laula devient alors une figure très importante du mouvement same en dénonçant l'occupation suédoise.


Le mouvement same prend son essor à partir du 6 fevrier 1917: c'est la 1ere réunion des Sames qui se rèvèle être surtout un rassemblement des Sames du Sud. Elsa Laula Renberg prononce alors le discours d'ouverture : "Aujourd'hui nous essayons pour la première fois d'unir les Sames de la Norvège jusqu'en Suède" .  Le 6 février est aujourd'hui la fête nationale same, en mémoire de cette première tentative de regroupement same. Une deuxième réunion qui rassemble plus de Sames a lieu en février 1918 à Östersund ( dans le Jämtland, en territoire Same du Sud donc.)

A partir de ce premier rassemblement se développent de plus en plus d'associations sames . Ainsi en Suède est fondé le Riikasearvi Same ätnam en 1945 , puis en 1950 les éleveurs s'associent dans le  Svenska Samernas Riksförbund. C'est à partir de ce moment-là que les parlements Sames se mettent peu à peu en place. ( mais je suis pas assez calée en institutions pour vous faire l'historique ) .

    Dans la lignée de l'image du bon sauvage qu'on voit décrite dans les premiers récits de voyage, l'image de l'indien écologique apparaît dans les années 1970. C'est une période dans laquelle se développe la notion romantique de la connaissance et de la sagesse des peuples indigènes (ou autochtones). Vous savez, le chamanisme, Castaneda, tout ça.

C'est le conflit d'Alta a propulsé les Sames sur les devants de la scène médiatique scandinave. Ce conflit est né en 1979 du projet de construction d'un barrage sur la rivière de Kautokeino-Alta, en Norvège. Les Sames ont manifesté contre ce projet dans cette région de la Laponie norvégienne, mais aussi à Oslo où des Sames ont monté un campement avec Kota et lavvu devant le Parlement norvégien. De jeunes Sames se lancent aussi dans une grève de la faim . Le conflit atteint son apogée en 1981, quand les manifestions sames forcent le chantier du barrage à un arrêt, quand environ 1000 manifestants sont évacués par 600 policiers. (sources  : the saami, a cultural encyclopaedia).  Les Sames ne sont plus seulement considérés comme des éleveurs de rennes vivant en périphérie de la société scandinave, mais apparaissent comme une minorité de la société, qui prennent une position politique, et se présentent comme des citoyens ayant des droits. L'action militante a été un échec puisque le barrage est finalement construit entre 1982 et 1986 , mais il y a eu tout de même des retombées médiatiques et politiques positives pour les Sames. En effet, les gouvernements commencent à mettre en place des comités chargés de faire des rapports sur les droits des Sames, sur la situation de leur langue etc. Les photos prises lors de ces évènements sont encore dans l'imagination collective Same, et même scandinave.





On peut noter par exemple une exposition qui a lieu pendant la fête de l'Humanité,en septembre 2011 à la Courneuve, sur les conflits de l'eau : une partie était consacrée au conflit de Alta, montrant les Sames en costumes manifestant à Oslo avec le slogan qui les associe au mouvement autochtone " vi kommera fOrst" "nous étions les premiers".



    Malgré la constance dans cette représentation du Same ( le Same éleveur , proche de la nature), ces luttes ont permis aux Sames de montrer qu'ils étaient citoyens suédois et pas seulement un peuple marginal.
Toutefois la culture Same est une culture qui contraste radicalement avec la culture suédoise, et plus généralement la culture scandinave ( par la langue, le mode de vie, l'histoire religieuse, etc etc etc). Elle appartient aussi à une catégorie contextuelle complètement différente : c'est une culture dite autochtone, ethnique, indigène. Les Sames aujourd'hui ne se présentent pas comme une minorité culturelle des sociétés scandinaves, mais comme un peuple autochtone d'Europe du Nord.  Ainsi, dans l'imaginaire collectif, on peut considérer qu'il se crée alors une division symbolique entre un "nous" vivant dans la société moderne et rationnelle, et un " eux" qui vivent dans un monde pré-moderne et traditionnel. On peut alors se demander comment les Sames peuvent s'identifier dans le monde moderne.  Les constructions culturelles du concept de "nature" et la notion de " peuple de la nature" ont des  conséquences directes sur la façon dont un groupe spécifique peut constituer son identité dans le monde moderne. Les cadres très étroits qui leur sont donné pour afficher leur identité same peuvent être considérés comme une forme de marginalisation et de domination .





    Je crois que cette problématique se retrouve complètement dans la manière dont les Sames sont considérés aujourd'hui à Kallak : leur avis n'est pas pris en compte, ils n'ont pas leur mot à dire. Je crois que ça explique aussi les réactions des suédois et le peu de soutien dont les Sames disposent dans les sociétés nordiques.