4 septembre 2013

les mouvements de protestation en Laponie et l'image des Sames

Suite aux évènements de Kallak, en Laponie Suédoise, j'ai décidé d'écrire une série d'articles ( oui, c'est un peu pompeux comme nom, mais bon. ) pour donner un éclairage sur le contexte dans lequel luttent aujourd'hui les Sames.  C'est un peu mon sujet de mémoire après tout ( que je ne finirai sûrement jamais d'ailleurs, mais ceci est une autre histoire)
Pour résumer, les Sames luttent contre des forages miniers à Kallak, près de Jokkmokk en Laponie suédoise. Cette mine est en plein milieu des pâturages de leurs rennes.
Pour les manifestations et ce qu'il se passe exactement à Kallak en français, je vous conseille de suivre le fil d'info :http://www.escales-nordiques.com/fil-info-kallak/

J'ai choisi d'utiliser le terme " Same" car il est plus proche de la prononciation same et le plus utilisé par les chercheurs français. Il s'agit pour moi de parler de mon expérience et de mon ressenti de la situation des Sames en Suède, et plus généralement dans les pays nordiques. Et peut-être de relayer la voix des Sames en français, nous sommes assez peu à nous y intéresser. C'est ma manière d'agir pour soutenir les Sames dans leur lutte.


Dès que les Sames ont commencé à manifester en août contre les forages, des propos et commentaires racistes sont apparus dans les journaux. Je crois que l'image des Sames dans la société suédoise est une question très importante pour comprendre ce qu'il se passe en Laponie suédoise. Les Sames sont en effet victimes de préjugés raciaux assez fous. Quand j'étais en Laponie ( du Sud, dans le Jämtland exactement) pendant un mois ( pour une expédition ethno-linguistique), il était assez courant qu'on nous réponde que le meilleur moyen de rencontrer des Sames était d'aller au musée ou dans les bibliothèques car les " vrais Sames authentiques" n'existent plus. Ils les imaginent telle l'image d'Epinal les décrit dans une kota, sans électricité, à suivre leurs rennes, sans téléphone portable, en costume traditionnel.

comme ça en fait :



Et c'est à travers quelques moments du mouvement same que je voudrais montrer comment leur image a évolué et dans quel contexte culturel les Sames luttent donc à Kallak.

Les protestations Sames ne sont pas un nouveau phénomène. Les Sames ont toujours lutté pour protéger leurs cultures, leurs langues, leurs terres..

La 1ere organisation Same est Same du Sud : il s'agit du regroupement "Fatmomakke" ( Asele, Wilhemina) qui est créée en 1904. La chanteuse et militante Same du Sud Elsa Laula devient alors une figure très importante du mouvement same en dénonçant l'occupation suédoise.


Le mouvement same prend son essor à partir du 6 fevrier 1917: c'est la 1ere réunion des Sames qui se rèvèle être surtout un rassemblement des Sames du Sud. Elsa Laula Renberg prononce alors le discours d'ouverture : "Aujourd'hui nous essayons pour la première fois d'unir les Sames de la Norvège jusqu'en Suède" .  Le 6 février est aujourd'hui la fête nationale same, en mémoire de cette première tentative de regroupement same. Une deuxième réunion qui rassemble plus de Sames a lieu en février 1918 à Östersund ( dans le Jämtland, en territoire Same du Sud donc.)

A partir de ce premier rassemblement se développent de plus en plus d'associations sames . Ainsi en Suède est fondé le Riikasearvi Same ätnam en 1945 , puis en 1950 les éleveurs s'associent dans le  Svenska Samernas Riksförbund. C'est à partir de ce moment-là que les parlements Sames se mettent peu à peu en place. ( mais je suis pas assez calée en institutions pour vous faire l'historique ) .

    Dans la lignée de l'image du bon sauvage qu'on voit décrite dans les premiers récits de voyage, l'image de l'indien écologique apparaît dans les années 1970. C'est une période dans laquelle se développe la notion romantique de la connaissance et de la sagesse des peuples indigènes (ou autochtones). Vous savez, le chamanisme, Castaneda, tout ça.

C'est le conflit d'Alta a propulsé les Sames sur les devants de la scène médiatique scandinave. Ce conflit est né en 1979 du projet de construction d'un barrage sur la rivière de Kautokeino-Alta, en Norvège. Les Sames ont manifesté contre ce projet dans cette région de la Laponie norvégienne, mais aussi à Oslo où des Sames ont monté un campement avec Kota et lavvu devant le Parlement norvégien. De jeunes Sames se lancent aussi dans une grève de la faim . Le conflit atteint son apogée en 1981, quand les manifestions sames forcent le chantier du barrage à un arrêt, quand environ 1000 manifestants sont évacués par 600 policiers. (sources  : the saami, a cultural encyclopaedia).  Les Sames ne sont plus seulement considérés comme des éleveurs de rennes vivant en périphérie de la société scandinave, mais apparaissent comme une minorité de la société, qui prennent une position politique, et se présentent comme des citoyens ayant des droits. L'action militante a été un échec puisque le barrage est finalement construit entre 1982 et 1986 , mais il y a eu tout de même des retombées médiatiques et politiques positives pour les Sames. En effet, les gouvernements commencent à mettre en place des comités chargés de faire des rapports sur les droits des Sames, sur la situation de leur langue etc. Les photos prises lors de ces évènements sont encore dans l'imagination collective Same, et même scandinave.





On peut noter par exemple une exposition qui a lieu pendant la fête de l'Humanité,en septembre 2011 à la Courneuve, sur les conflits de l'eau : une partie était consacrée au conflit de Alta, montrant les Sames en costumes manifestant à Oslo avec le slogan qui les associe au mouvement autochtone " vi kommera fOrst" "nous étions les premiers".



    Malgré la constance dans cette représentation du Same ( le Same éleveur , proche de la nature), ces luttes ont permis aux Sames de montrer qu'ils étaient citoyens suédois et pas seulement un peuple marginal.
Toutefois la culture Same est une culture qui contraste radicalement avec la culture suédoise, et plus généralement la culture scandinave ( par la langue, le mode de vie, l'histoire religieuse, etc etc etc). Elle appartient aussi à une catégorie contextuelle complètement différente : c'est une culture dite autochtone, ethnique, indigène. Les Sames aujourd'hui ne se présentent pas comme une minorité culturelle des sociétés scandinaves, mais comme un peuple autochtone d'Europe du Nord.  Ainsi, dans l'imaginaire collectif, on peut considérer qu'il se crée alors une division symbolique entre un "nous" vivant dans la société moderne et rationnelle, et un " eux" qui vivent dans un monde pré-moderne et traditionnel. On peut alors se demander comment les Sames peuvent s'identifier dans le monde moderne.  Les constructions culturelles du concept de "nature" et la notion de " peuple de la nature" ont des  conséquences directes sur la façon dont un groupe spécifique peut constituer son identité dans le monde moderne. Les cadres très étroits qui leur sont donné pour afficher leur identité same peuvent être considérés comme une forme de marginalisation et de domination .





    Je crois que cette problématique se retrouve complètement dans la manière dont les Sames sont considérés aujourd'hui à Kallak : leur avis n'est pas pris en compte, ils n'ont pas leur mot à dire. Je crois que ça explique aussi les réactions des suédois et le peu de soutien dont les Sames disposent dans les sociétés nordiques.






4 commentaires:

  1. Très très intéressant comme article, c'est effectivement ce que j'avais compris en lisant ici ou là des articles, mais tu résumes et explique très bien la façon dont ils sont perçus, que nous ne voyons et n'imaginons pas trop depuis la France (et comme je l'expliquait dans l'un de mes article, pas comme on imagine la société suédoise, même si avec les récentes émeutes on peut comprendre un peu mieux ces problèmes de société)

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    1. Effectivement, c'est très intéressant, d'autant de constater que l'on comprend toujours mieux, comme par enchantement ce qui se passe à "l'étranger : en dehors de l'hexagone français", alors qu'il y a le même comportement envers les "Provinciaux" comme par exemple les Bretons et leur demande de reconnaissance de la langue bretonne de façon officielle dans les espaces publiques comme une gare (qui est une langue proche du gallois et différente du latin et particulièrement du français). Tant qu'on offre du folklore aux touristes et qu'on se taise tout va bien...dès qu'il s'agit de revendiquer une autonomie ou revendication quelconque (ex Bonnets rouges ou la reformation d'une Bretagne historique comprenant le pays nantais )...c'est le détournement d'informations ou l'omerta, l'indifférence, les ricanements et petites phrases désobligeantes...mais tout le monde sait qu'il n'y a pas de "racisme ou d'attitude anti-breton" puisque pour un français, tout le monde est citoyen francais, n'est ce pas...Je suis bretonne et j'imagine très bien ce que peuvent ressentir les Saamis puisque nous vivons la même chose de façon plus sournoise ! J'espère que Laponico regardera aussi ce qui se passe près de son palier avec autant de compréhension. Merci.

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  2. ah merci beaucoup. J'avais peur de pas être claire, tu me rassures. C'est sûr qu'on est loin du paradis d'égalité et de bonheur qu'on imagine souvent quand on pense à la société suédoise.

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    1. Oui, c'est intéressant ce type d'avis, de l'intérieur. Un peu comme Léon qui avait fait un post (excessif mais intéressant) sur les travers de la société suédoise).
      Je vais écrire un article je pense sur tout ça, et sur justement la vision que j'en ai (remise un peu en cause)

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